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La Présidente du Parlement européen
COMMUNIQUES DE PRESSE

Pristina, le 21 septembre 1999

Discours de Mme Nicole FONTAINE, Présidente du Parlement européen

A l'université de Pristina
 
Après dix ans d’exil, du fait de l’oppression, votre université bilingue vient enfin de rouvrir ses portes, et elle accueille à nouveau dans ses murs, les étudiants de la communauté albanaise et leurs professeurs.

Que ce premier mot soit pour vous dire combien je m’associe à ce que vous éprouvez.

Votre université garde plus que jamais et plus que toute autre institution, vocation à exprimer la culture multiethnique du Kosovo, qui fait partie de son essence.

C’est pour cela, et dans cette circonstance heureuse, que j’ai souhaité la rencontre que nous avons en ce moment, et c’est avec émotion que je prends la parole devant vous.

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Il y a tout juste deux mois, à Strasbourg, le Parlement européen m’a fait le grand honneur de me confirmer la charge de sa présidence.

L’ Union européenne, comme vous le savez, réunit aujourd’hui quinze Etats européens qui se sont longtemps et souvent déchirés à travers l’histoire, mais qui, dépuis un demi-siècle, ont constitué, dans la paix retrouvée et stabilisée, une même communauté de destin et d’action.

Dans les toutes prochaines années, une dizaine d’autres pays démocratiques du centre et de l’est de l’Europe viendront élargir cette grande communauté où des millions d’hommes et de femmes, de toutes origines ethniques, de toutes cultures, de toutes confessions religieuses, ont appris à vivre ensemble dans la paix et la solidarité de destin.

Comme le disait Jean MONNET, l’un des pères fondateurs de cette Europe unie, "nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes".

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Sitôt mon élection à la présidence du Parlement européen, dans le discours inaugural que j’ai prononcé, j’ai proposé à notre assemblée que ma première visite oficielle soit ici, chez vous, au Kosovo, pour marquer d’un signe fort l’ouverture de notre nouvelle législature.

Je viens ici honorer cette promesse, au nom de tout le Parlement européen.

Avec moi-même, participent à cette visite de fraternisation trois parlementaires européens: Mme Doris Pack, qui est allemande, Mme Emma Nicholson, qui est britannique, et M. Johannes Swoboda, qui est autrichien. Quel symbole…

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Pourquoi cet engagement de venir chez vous, avant toute autre visite?

Je voudrais vous le dire avec les mots du coeur autant qu’avec ceux de la raison, même si les mots, s’ils peuvent apaiser la douleur, ne pourront jamais vous rendre les absents, victimes de la barbarie, de l’intolérance, de la haine de l’autre.

Vous veniez de vivre l’horreur, alors que vous aussi, par la géographie et par notre histoire commune, vous appartenez, tout autant que nous, à la communauté humaine du continent européen.

C’est pour cela que notre délégation du Parlement européen vient vous apporter le message de la solidarité de tous les peuples de l’Union européenne que nous représentons et l’espoir que nous mettons dans le processus en cours.

Elle le fait en un jour hautement significatif.

Samedi, des dizaines de milliers de Kosovars sont venus dire ici, à Pristina, leur reconnaissance aux combattants de l’UCK qui avaient résisté sans grands moyens et au péril ou au sacrifice de leur vie à des forces très supérieures.

Nombreux sont ceux qui, dans leur chair, conserveront à jamais cette souffrance des blessures reçues.

Désormais, et malgré un prolongement des négociations cette nuit, l’accord entre l’UCK, la KFOR et l’UNMIK a été signé. La démilitarisation de l’UCK est désormais chose faite. Elle s’est dissoute pour devenir le corps de protection civile œuvrant dans un cadre de droit. Je tiens à rendre hommage à la ténacité et à la patience des négociateurs qui ont ainsi consolidé le processus de paix.

En respectant la parole donnée et en remettant les armes de votre défense, les combattants de l’UCK ont franchi le pas de faire confiance à la communauté internationale qui est venue pour vous protéger et vous rétablir dans vos droits fondamentaux à vivre en paix et dans la liberté sur votre terre.

Cette confiance ne sera pas trahie. Le Parlement y veillera de toute sa force, et sa détermination comptera dans les décisions qui seront prises. C’est aussi cela que nous sommes venus vous dire, le jour même où s’ouvre une étape nouvelle vers la pacification dans la sécurité.

Quatre messages pourraient résumer le sens de notre visite.

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LA SOLIDARITE EUROPEENNE DEMEURE POUR LE TEMPS DE LA RECONSTRUCTION
Pendant plusieurs mois, et tous les jours, les journaux, les magazines, les chaînes de télévision, ont diffusé dans tous les foyers européens, les images insoutenables de la brutalité, de ces cohortes effarées de femmes, d’enfants, de vieillards qu’on chassait de leurs villages, de leurs maisons qu’on brûlait pour qu’ils ne puissent plus revenir, des charniers qu’on découvrait.

Une immense solidarité s’est alors levée à travers toute l’Europe. Vous ne l’avez peut-être pas sue à la mesure de ce qui s’est passé parce que votre priorité était de survivre, parfois dans des conditions de détresse abominables.

Par centaines de milliers, des familles européennes qui ne vous connaissaient pas, qui ne pratiquaient pas la même langue ou la même religion, se sont portés volontaires pour accueillir ceux qu’on chassait de chez eux avec barbarie, le temps que la paix revienne.

Jamais, depuis la fin de la dernière guerre mondiale, un tel mouvement de générosité ne s’était produit à cette échelle.

Ce mouvement ne s’est pas éteint avec la fin des hostilités et même si les projecteurs de l’actualité se sont déplacés sur d’autres foyers de terreur tels que le Timor oriental.

Les peuples de l’Union européenne n’oublient pas le Kosovo qui est aujourd’hui à pacifier et reconstruire. C’est ce que nous venons d’abord vous dire, même si chacun a conscience que cette entreprise demandera beaucoup de temps.

Je rends aussi hommage, naturellement, aux autorités et aux populations souvent très pauvres elles-mêmes, des pays limitrophes du Kosovo, et notamment de la Macédoine et de l’Albanie.

Ils ont fait le maximum qui leur était possible pour repondre à l’urgence de l’accueil temporaire des réfugiés, en dépit de leurs moyens faibles et des risques de représailles, voire de déstabilisation interne.

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UNE EUROPE NOUVELLE EST NEE AU KOSOVO POUR BANNIR A JAMAIS LA BARBARIE SUR LE CONTINENT EUROPEEN
Ces images d’une horreur d’épuration ethnique planifiée qu’on aurait cru bannie à jamais, ont réveillé la conscience morale des Européens de toute l’Union européenne.

Les responsables politiques l’ont compris.

Ils ont fait leur devoir, trop tardivement sans doute, mais avec détermination, en mettant sur pied et en engageant, avec le concours d’autres nations, et notamment américaines, la force internationale qui a permis d’arrêter les massacres.

Une Europe nouvelle est née au Kosovo, et à Pristina, qui la symbolise.

Pour la première fois peut-être de l’histoire de l’humanité, une intervention militaire a été conduite sans autre visée ni autre intérêt que ceux de protéger les droits fondamentaux de la personne humaine, quelle que soit sa race, quelle que soit sa religion, et d’imposer la paix dans cette région du monde qui est celle de votre terre mais laquelle en ce vingtième siècle, la première guerre mondiale s’est embrasée parce que les haines n’avaient pas été éradiquées à temps.

Cette Europe nouvelle qui est née au Kosovo, c’est celle de la volonté déterminée des nations des quinze Etats de l’Union européenne, de ne plus accepter que sur notre continent, la démocratie soit bafouée et les droits des plus faibles écrasés par des stratégies de haine.

Le traité d’Amsterdam, qui vient d’entrer en vigueur au sein de l’Union européenne, avait posé les jalons d’une union politique qui soit en mesure d’être garante de la paix et de la démocratie, en Europe notamment.

La souffrance que vous avez vécue a précipité ce cheminement. La page de l’irrésolution internationale qui a caractérisé l’épreuve de la Bosnie est définitivement tournée. C’est le second message que nous vous apportons.

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LA JUSTICE SEREINE, PAS LA VENGEANCE NI LA REVANCHE
Notre troisième message concerne le devoir de justice à l’égard des victimes, à présent que les armes lourdes se sont tues et que sont revenus dans leurs maisons souvent détruites, ceux qui en avaient été chassés brutalement, en ayant perdu, pour beaucoup d’entre eux, les membres de leur familles sauvagement massacrés pour la seule raison qu’ils n’étaient pas de la même communauté ethnique que leurs assassins.

La mémoire ne doit pas s’effacer. Cela n’est pas possible et cela ne doit pas être, ne serait-ce que pour les générations futures.

La justice doit donc passer et pour que vienne l’heure du pardon, celle de la sanction et de la réparation doit intervenir.

C’est un devoir à l’égard des victimes et une exigence pour la crédibilité de la communauté internationale, qui se porte garante de la restauration de la paix.

Sachez, à ce sujet, que le PE fut le premier à demander que le dictateur de Belgrade, M. Milosevic, soit traduit devant le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, et cela dès le 15 avril 1999, alors qu’une telle incrimination apparaissait illusoire à beaucoup, pour des raisons d’Etat ou d’opportunité.

C’est fait désormais. Nulle part dans le monde civilisé, ni lui ni ceux qui l’ont secondé dans les crimes planifiés et commis, ne seront à l’abri, quel que soit le temps qui sera nécessaire pour qu’ils soient amenés à comparaître et à répondre de leurs actes devant une justice internationale indépendante.

Avec l’humilité qui sied à ceux qui n’ont pas subi ce que vous avez souffert, nous vous demandons de faire confiance à la communauté internationale qui a montré sa détermination à vous défendre et aujourd’hui vous protège, pour que cette justice s’exerce dans le droit et ne soit pas le fait de la vengeance privée, qui est souvent aveugle.

Si lourds que soient les souvenirs et la présence dans vos coeurs des êtres chers que vous pleurez, vous devez puiser dans votre foi, qu’elle soit musulmane ou chrétienne, ou dans vos convictions humanistes, la force de ne pas inverser les rôles et de renoncer à l’esprit de vengeance ou de revanche.

La vengeanche est lâche et inefficace. Construisez l’avenir. Seule la réconciliation est courageuse et sera porteuse de stabilité et de progrès. Ayez ce courage, sans retard. Soyez-en les catalysateurs dans la population, vous qui, dans cette université enfin réouverte, êtes la jeunesse cultivée du Kosovo et serez demain les cadres de son avenir.

Une revanche qui s’exercerait sur une population serbe innocente ne pourrait que mener à l’echec et aux mêmes maux que j’ai dénoncés très durement au début de mon intervention.

Souvenons-nous: il a quelque cinquante ans, le nazisme s’effondrait et le monde entier découvrait des horreurs insoupçonnées du plus grand nombre. Cinquante millions de morts avaient allumé des haines inextinguibles. Mais au moment-même où à Nuremberg on jugeait les responsables, des visionnaires qui venaient des différents pays antagonistes, et qui parfois, eux aussi avaient beaucoup souffert, décidaient ensemble, non pas d’effacer de leur mémoire ce qui s’était passé, mais de construire la paix sur des bases nouvelles, et notamment celle de la réconciliation.

C’est de cette volonté qu’est née la Communauté européenne en 1957 et qui poursuit son chemin depuis, sans rupture, en apportant la paix à des nations qui se faisaient la guerre depuis des millénaires, en garantissant et en perfectionnant la démocratie de chacune d’elles, en apportant le progrès pour tous malgré les défis des effets de la mondialisation des échanges économiques.

Vous êtes devant les mêmes défis, et nous venons vous dire que vous devez et que vous pouvez le relever. Certes, je n’ignore pas qu’au Kosovo, l’entreprise sera d’autant plus difficile qu’il s’agit d’y faire coexister plusieurs communautés su un même territoire.

La réouverture de votre université constitue un véritable espoir pour un Kosovo réconcilié.

Je vous invite ardemment, vous qui êtes étudiants et professeurs de la communauté albanaise, à ouvrir votre porte et vos coeurs aux autres jeunes de la communauté serbe ou des autres communautés qui vivent sur le sol kosovar, et qui eux aussi, paient très cher le tribut d’une guerre dont ils ne sont pas responsables.

Les jeunes générations doivent servir d’exemple, car l’avenir leur appartient et elles sont plus aptes que les autres à pardonner et à surmonter les affres de l’histoire récente ou lointaine.

Sachez que je n’ignore pas que mes paroles sont prononcées dans une enceinte qui a perdu un de ses plus brillants éléments dans ce cauchemar. Je veux parler du grand humaniste qu’était M. Fehmi AGANI. J’honore ici sa mémoire et je suis convaincue qu’il souhaiterait cette ouverture.

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UN AVENIR OUVERT SUR L’ESPOIR
Notre quatrième message est tourné vers cet avenir qu’il vous faut désormais reconstruire, et même construire.

Face à l’urgence, le concours de la communauté internationale, est important et il se met en œuvre sous vos yeux.

Les soldats de la KFOR, sous la direction du général Jackson, risquent leur vie pour assurer la paix et la coexistence, préalables à la réconciliation et à la paix civile entre les diverses communautés.

L’Union européenne assume la plus grande part de l’effort budgétaire nécessaire au rétablissement des infrastructures, de l’administration et de la vie économique du pays.

L’ONU, par son haut-représentant, M. Bernard KOUCHNER et tous ceux qui travaillent sous son autorité, se dévouent sans compter, pour faire tout ce qui est possible et le plus rapidement possible.

Les associations humanitaires qui relaient la solidarité des citoyens, sont également là sur le terrain, avec désintéressement.

Vous devez les aider vous-mêmes par votre propre soutien, pour qu’ils puissent vous aider à leur tour plus efficacement.

C’est votre devoir du moment. Nous ne voulons pas que les Kosovars soient des assistés mais des partenaires du développement.

La tâche est immense.

Le Parlement européen entend y prendre toute sa part. Il détient avec le Conseil des Ministres de l’Union européenne, le pouvoir budgétaire.

Jeudi dernier, le Parlement a adopté en urgence un budget exceptionnel qui permettra de débloquer 92 millions d’euros à utiliser d’ici fin de la présente année.

Dans les années à venir, il veillera à ce que d’importants crédits soient dégagés pour poursuivre la voie engagée.

Dans cette optique, nous considérons que tout doit être fait pour coordonner l’ensemble des efforts financiers accomplis bilatéralement par les Etats membres et l’Union.

En particulier, il est capital que nous agissions ensemble pour remettre en route le plus rapidement possible le système éducatif kosovar.

Les infrastructures de santé, détruites elles aussi par la guerre, doivent être réhabilitées et le corps médical doit pouvoir assurer sa tâche dans les meilleures conditions.

Bien entendu, il faut aussi et en priorité reconstruire les maisons, car chacun a droit à un foyer et que l’eau, le gaz et l’électricité y parviennent.

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Pour mener à bien toutes ces tâches, le Kosovo doit disposer d’institutions démocratiques stables et pluralistes au sein desquelles toutes les communautés doivent avoir leur juste place, et ces institutions démocratiques doivent être appuyées par une administration publique performante.

Ainsi le Kosovo pourra prendre le chemin du développement économique et social et apporter toute sa part à la stabilité des Balkans.

Dans le rapport de Mme Doris PACK, ici présente, que le Parlement a également adopté jeudi dernier, nous nous sommes prononcés pour une gestion directe des programmes pour le Kosovo.

C’est la raison pour laquelle nous avons estimé que le centre opérationnel de l’agence européenne de reconstruction devra être à Pristina.

Quelles que soient les difficultés, le Parlement s’efforcera, dans toutes les actions qui doivent être menées, de préserver la dimension multi-ethnique.

Elle a été la raison de l’intervention internationale, elle doit être l‘élément clé de l’avenir du Kosovo.

Nous n’avons pas le droit à l’échec et je compte sur vous qui êtes l’avenir de cette société pour relever le défi de la fraternité retrouvée entre les communautés ethniques.

Et puisque je suis devant de jeunes étudiants, je formule un vœu qui vous concerne directement: celui de voir les universités européennes accueillir la jeunesse du Kosovo qu’elle soit d’origine albanaise, serbe, turque, rom ou d’autres communautés ethniques.

Je souhaite en particulier qu’une part des crédits des programmes de reconstruction permettent à certains d’entre vous de venir se former dans nos universités et nouer avec les étudiants de l’Union européenne, les relations internationales dont ils auront besoin dans leur vie professionnelle future.

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Ouvrons, plus audacieusement encore, les portes de l’avenir.

Le Kosovo, et plus largement, toutes les nations de l’ex-Yougoslavie, appartiennent, par l’histoire, par la géographie et par la culture, à la famille du continent européen.

Dans quelques années, le plus grand nombre des Etats européens seront réunis au sein de l’Union européenne. C’est la marche de l’histoire.

Les Balkans, une fois la paix stabilisée et la démocratie restaurée, resteront-ils éternellement une enclave d’exception au sein de cette Europe unie?

Dans le contexte de l’embrasement armé et de la barbarie qui ont suivi l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, la question n’était pas d’actualité, et n’a donc pas été débattue. Je ne peux donc exprimer qu’un sentiment personnel, mais c’est celui de la logique.

Par nature, la vocation des diverses entités européennes des Balkans, est d’intégrer un jour l’Union européenne, comme les pays européens qui les entourent y sont déjà ou y entreront prochainement.

Est-ce possible aujourd’hui d’ouvrir ainsi audacieusement les portes à l’espoir du progrès dans une région qui vient d’être ravagée?

Ma réponse est oui, et c’est ce quatrième message d’un espoir à terme que je suis venue vous apporter.

Je souhaite maintenant que le dialogue direct que nous allons entamer si vous le souhaitez vous-mêmes, permette au Parlement européen, de mieux vous comprendre et ainsi de transmettre à nos compatriotes, vos craintes, vos souhaits, vos suggestions, et vos espoirs.

Je vous remercie.

 
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