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La Présidente du Parlement européen
COMMUNIQUES DE PRESSE

Santander, le 18 juillet 2001

Discours de Mme Nicole FONTAINE, Présidente du Parlement européen
lors de la remise de la médaille d'honneur de l'Université Menéndez Pelayo
 
Monsieur le Président du Gouvernement de Cantabria,
Monsieur le Président du Parlement de Cantabria,
Monsieur le Doyen,
Monsieur le Délégué du Gouvernement en Cantabria,
Monsieur le Maire,
Autorités,
Mesdames et Messieurs les enseignants,
Mesdames et Messieurs les étudiants,
Mesdames et Messieurs,


L'Espagne m'aura témoigné une grande amitié tout au long de ma présidence du Parlement européen.

Cette amitié restera pour toujours, dans mon cœur, l'un de ses souvenirs les plus forts de mon mandat.

Elle est, pour partie, le fruit de la solidarité qui nous a réunis face à l'épreuve qui blesse votre pays au plus profond de lui-même.

La violence sans visage continue au pays basque de bafouer la valeur sacrée de la vie humaine. Les nouveaux assassinats de ces derniers jours confirment que leurs auteurs et inspirateurs ont franchi un nouveau pas dans l'escalade du chantage à la terreur. Ce sont bien sûr d'abord des vies que l'on supprime de sang-froid, et des familles dont on brise l'existence à jamais, mais c'est aussi la démocratie qu'on cherche à assassiner.

C'est ensuite, le mépris du vote de la population basque. En assassinant, les terroristes entendent empêcher que la priorité exprimée par les citoyens basques dans les urnes soit mise en œuvre: mettre fin à la violence et rétablir le plein respect des droits et des libertés fondamentales au premier rang desquels le droit à la vie et le droit à la liberté d'expression.

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Vous avez voulu en ce jour me donner un nouveau témoignage de cette amitié, en me remettant la plus haute distinction de votre Université, celle de sa médaille d'honneur.

Je la reçois avec modestie pour moi-même, et avec honneur pour le Parlement européen tout entier.

Il n'a jamais cessé, tout au long de ces mois, de vous dire que l'Espagne n'est pas seule. Votre combat pour le respect de la vie humaine et pour la démocratie est celui de toute l'Europe.

Je réaffirme une fois de plus devant vous que la folie et la lâcheté meurtrières n'auront plus jamais leur place sur notre continent réunifié. Et je suis convaincue qu'en Espagne, les forces de la paix et du dialogue civique entre démocrates finiront par l'emporter, en préservant l'unité du pays.

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L'Europe unie et pacifiée que nous construisons ensemble, ardemment et avec persévérance, doit beaucoup aux universités.

Tout au long de son histoire tourmentée, les universités ont été les lieux par excellence où les esprits les plus ouverts et les plus éclairés de leur époque, ont façonné, par des échanges intenses et constants, ce qui fait le socle commun, de nature humaniste, de nos cultures nationales et régionales.

Les universités ont été les grands artisans du savoir et de l'humanisme tolérant à vocation universelle que Blaise Pascal appelait de ses voeux en méditant sur la vanité des dogmatismes nationaux : "vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ".

Dans ce long processus, l'Université Internationale d'été Menéndez Pelayo occupe une place moderne et pionnière. Certes, elle n'a pas vécu le temps des croisades, des pèlerinages du Moyen-Age, de ses monastères et de ses cathédrales, ni celui de la Renaissance.

Mais dès sa création en 1932, ses fondateurs ont fait le choix prophétique de contribuer à construire l'Europe des peuples par les échanges culturels transnationaux, alors que l'idée d'unir les Européens n'était même pas encore une utopie, que le spectre de la guerre civile s'annonçait en Espagne, et que l'Europe entière ne soupçonnait pas vers quelles extrémités de barbarie et de destructions fratricides elle s'orientait.

En réunissant pour ses sessions d'été à Santander, depuis 70 ans, des milliers d'enseignants et d'étudiants de tous les pays européens et du continent américain, l'Université Internationale Menéndez Pelayo a ouvert, avec une intuition remarquable, une voie dans laquelle toute l'Europe est désormais pleinement engagée à travers les programmes communautaires que vous connaissez bien : Erasmus, Socrates, Comett et Leonardo de vinci, Jeunesse pour l'Europe, pour ne citer qu'eux.

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D'une façon plus générale, où en sommes-nous précisément aujourd'hui, de la construction européenne ? Quel est son dessein final ?

La question est aujourd'hui dans tous les esprits, aux lendemains du traité de Nice, qui a laissé un goût d'insatisfaction.

L'intuition des fondateurs de l'Europe nouvelle avait été de ne pas chercher à la construire d'un seul coup, mais à la façonner progressivement et pragmatiquement par des actes concrets qui créeraient des solidarités de fait, et qui rendraient la guerre non seulement impensable, mais impossible.

Cette intuition s'est révélée féconde.

Ensemble, nous avons fait l'Europe de la paix.

Plus d'un demi-siècle sans que les Etats européens se combattent par les armes, cela ne s'était jamais produit dans notre histoire commune, au point que les générations nouvelles vivent dans l'idée que la paix européenne est naturelle.

Mais nous savons bien, pour l'avoir vu ces dernières années, aux portes de l'Union, en Croatie, en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine, que le feu des haines ethniques peut à tout moment réveiller la guerre et ses atrocités.

C'est la raison première pour laquelle, quels que soient les efforts financiers et d'accueil que nous devrons partager, il est de notre intérêt et de notre devoir d'Européens, d'accueillir au sein de l'Union européenne, tous les Etats du continent qui le souhaitent et s'y sont préparés, et notamment ceux de l'Europe centrale et orientale qui ont récemment recouvré la liberté et la démocratie.

Ensemble, nous avons réalisé l'Europe de la liberté économique dans la solidarité.

Le bilan est extraordinairement positif, et inédit dans le reste du monde :
- la politique agricole commune a sauvé le monde rural et l'agriculture européenne d'un déclin dévastateur qui paraissait inévitable,
- Le marché unique a fait de l'Union européenne, le plus grand pôle économique du monde, totalement ouvert à une concurrence loyale stimulante, et moins dépendant des avatars des autres grandes économies,
- La reconnaissance mutuelle des diplômes professionnels et la liberté d'établissement pour toutes les professions, même réglementées nationalement, font que l'espace naturel de vie, d'études, de travail des générations nouvelles n'est plus seulement à l'échelle de leur pays d'appartenance, mais à celle de toute l'Europe.
- Les fonds structurels et de cohésion sociale ont permis aux régions les plus en retard de se hisser à un niveau de vitalité économique qu'elles n'auraient jamais pu espérer. L'Espagne le sait bien.
- L'euro enfin, a supprimé les effets déstabilisateurs des fluctuations entre les monnaies européennes et contraint tous nos Etats à une convergence de leurs politiques budgétaires, en matière de déficit, d'endettement, d'inflation. L'Espagne fut exemplaire à cet égard.

Deux dangers pourraient menacer dans les années à venir ce subtil équilibre entre liberté économique et solidarité.

Le premier serait un comportement étroitement comptable et à courte vue.

Certes, par exemple, les fonds structurels et de cohésion sociale n'ont pas été créés pour constituer un acquis indéfini des régions qui en bénéficient.

Mais les besoins de mise à niveau des pays candidats à l'adhésion, qui seront considérables, ne justifieraient pas que l'on se contente aujourd'hui de retirer aux uns ce que l'on voudrait donner à d'autres.

Ce sont les situations réelles qu'il faut prendre en compte, et l'Espagne n'a cessé de défendre cette approche, avec raison.

Le second danger serait le réveil des égoïsmes nationaux, au nom d'un libéralisme érigé en dogme brutal.

Dans certains pays de l'Union, et plus particulièrement ceux du Nord, la culture économique est plus libre-échangiste que dans ceux du Sud.

Cette conception est confortée par le nouveau contexte de la mondialisation accélérée des échanges économiques et culturels, et de la compétition féroce qu'elle introduit.

Nous devrons tout faire pour que l'équilibre entre la loi du marché et la solidarité communautaire soit préservé.

Ensemble, nous avons aussi façonné l'Europe des valeurs.

Beaucoup d'entre elles étaient inscrites dans nos consciences collectives du fait de notre histoire commune.

Nous les avons fortifiées à travers les traités de Rome, de Maastricht et d'Amsterdam, et aussi grâce à la jurisprudence de la Cour de Justice.

Le retour de la barbarie en Bosnie, puis au Kosovo, a mobilisé les Européens sur ce qui ne pouvait être toléré, a fortiori sur le sol même de l'Europe.

En décembre dernier, nous sommes allés plus loin, en proclamant à Nice la charte européenne des droits fondamentaux, dont l'écho en Espagne a été remarquablement amplifié grâce à l'action efficace de l'ONCE.

Le récent premier Congrès mondial pour l'abolition universelle de la peine de mort, qui s'est tenu au Parlement européen, en juin, vient d'illustrer que l'Europe unie s'affirme de plus en plus comme une autorité morale autant que comme un pouvoir économique.

Tout cela est positif, mais ce n'est pas suffisant.

La charte des droits fondamentaux, même si elle représente un acquis remarquable, devra être enrichie.

Son destin naturel est d'être le préambule de la constitution européenne dont l'Union a besoin
- pour simplifier le maquis actuel des traités, inaccessible aux citoyens,
- pour clarifier les compétences, sur la base du principe de subsidiarité, entre le niveau européen, le niveau des Etats et celui des collectivités territoriales de proximité,
- pour mieux reconnaître, sans créer de confusion institutionnelle, le rôle des parlements nationaux.

Quand cet élargissement sera achevé, l'Union européenne comptera près d'un demi milliard d'hommes et de femmes vivant et travaillant dans un vaste espace économique sans frontières intérieures, qui ira du cercle polaire jusqu'à Gibraltar, de l'Irlande jusqu'à la frontière de la Russie.

Mêler dans une authentique communauté, tous ces Etats et tous ces peuples, aux singularités ethniques, historiques, sociales, religieuses, si ancrées et si prononcées, ne sera pas simple. Il ne faut pas en sous-estimer la difficulté, et des Universités comme la vôtre, peuvent avoir un rôle positif considérable à jouer à cet égard, dans la fidélité à leur mission originelle.

La ratification du traité de Nice ne suffira pas à réussir l'élargissement. Ce ne sont pas seulement les institutions européennes qu'il faut adapter, ce sont les esprits, ceux des Etats de l'Union actuelle, comme ceux des Etats candidats, qu'il faut préparer.

Or, après une période initiale d'assentiment collectif spontané, force est d'observer la montée d'appréhensions diffuses, voire de replis nationaux, dans tous nos Etats. Nous devons engager une campagne d'information et de sensibilisation aux enjeux géopolitiques de la réunification intégrale de l'Europe.

Nous avons amorcé, mais nous n'avons fait qu'ébaucher, une authentique Europe sociale.

Elle doit conduire à réduire les écarts de niveau de vie, de protection sociale, de droits, entre les Européens, quel que soit leur pays d'appartenance.

Le libéralisme économique qui s'impose aujourd'hui à travers le monde, et dont nul ne peut sérieusement contester qu'il est préférable, y compris socialement, au dirigisme étatique de l'économie, n'est acceptable et bénéfique que dans la limite où il prend en compte la dimension humaine des hommes et des femmes qui travaillent et génèrent, par leur travail, des richesses accrues.

En ce domaine, même si quelques progrès ont été faits, les résistances de certains Etats freinent encore beaucoup l'émergence d'un authentique modèle social européen.

Nous avons amorcé, mais nous n'avons fait qu'ébaucher sur l'ensemble de l'Europe unie, un véritable espace commun de sécurité, de liberté et de justice.

Il nous faudra encore de nombreuses années, et la volonté affirmée des gouvernants,
- pour que nos droits nationaux respectifs deviennent compatibles,
- pour que s'instaure le principe de la reconnaissance mutuelle des compétences et des décisions de justice.
- pour qu'une politique commune, à la fois généreuse et rigoureuse, soit adoptée en matière d'immigration et de lutte contre ceux qui l'exploitent.

Nous avons amorcé, mais nous n'avons fait qu'ébaucher, l'Europe de la défense commune, celle qui lui assurera une plus grande autonomie dans sa sécurité, mais surtout celle qui peut lui permettra d'intervenir au service de la paix hors de l'Europe, lorsque la paix du monde est menacée, ou lorsque les droits fondamentaux de la personne humaine sont bafoués, comme on l'a vu dans les Balkans.

Nous avons amorcé, mais nous n'avons fait qu'ébaucher, la constitution d'une authentique Europe politique.

Avant sa réunification, on disait de l'Allemagne qu'elle était "un géant économique, mais un nain politique".

La formule serait injuste pour l'Union européenne d'aujourd'hui. Elle est présente en tant que telle sur la scène du monde, et sa voix, qui est de plus en plus unie, compte aussi de plus en plus.

Mais son influence n'est pas à la mesure de ce qu'elle représente.

Il suffit pour s'en convaincre de rappeler comment les Etats-Unis viennent de tourner le dos aux accords de Kyoto sur la réduction de l'effet de serre, et s'arroger impunément le droit d'être les premiers pollueurs de la planète, parce que tel est leur intérêt économique du moment.

Nous avons encore beaucoup d'efforts à accomplir pour réaliser l'Europe de la solidarité universelle, à l'égard des peuples qui s'enfoncent un peu plus chaque année dans le sous-développement, notamment en Afrique ou en Amérique du sud.

Certes, l'Europe est le continent qui apporte la plus grande contribution à l'éradication de la pauvreté. Mais cette contribution est-elle à la hauteur de la misère matérielle et humaine qu'elle veut combattre ?

Il n'est pas possible d'envisager que le nouveau millénaire puisse se développer en maintenant, voire en aggravant, le fossé qui sépare les pays riches, qui continueraient à vivre dans le confort de leur aisance, et les pays où le sous-développement et la guerre civile laissent plus de deux milliards d'être humains, dans la faim, la maladie, l'asservissement ou la terreur.

Enfin, nous avons encore de grands progrès à réaliser pour faire l'Europe des citoyens.

Sans adhésion populaire, il ne peut exister d'union politique.

Au cours des dernières décennies, les peuples européens ont certes adhéré dans leur ensemble au processus de construction européenne, mais dans un contexte de relative opacité, parce que les décisions qui étaient prises au niveau européen ne les atteignaient directement dans leur vie ou leur activité quotidienne que de façon rare.

Tel n'est plus le cas aujourd'hui. Les citoyens, peu à peu, découvrent et s'approprient les conquêtes majeures de la construction européenne et ils en apprécient les retombées positives. Mais ils attendent des décideurs politiques qu'on aille plus loin et plus vite, et qu'ils soient davantage associés.

On ne pourra plus continuer à construire l'Europe en cercles fermés, si compétents et investis de légitimité soient-ils, sans prendre en compte l'évolution des esprits.

Le défi qui est devant nous est de faire en sorte que, dans une Europe à 27, ou davantage, l'Union puisse à la fois conserver sa capacité à décider, à le faire démocratiquement, et à maintenir la prééminence de sa solidarité. C'est pour cela qu'il faut résoudre des problèmes clés d'ordre institutionnel : avoir une commission suffisamment restreinte pour être efficiente, étendre le domaine des questions qui relèveront de la majorité qualifiée au conseil, reconnaître le rôle de contrôle démocratique du Parlement de l'Union sur les domaines qui ne sont pas encore communautarisés. Le traité de Nice n'a été à cet égard qu'un compromis insuffisant.

Partout en Europe le débat sur l'Europe que nous voulons est lancé, en vue d'une échéance de décision, fixée en 2004.

Je vous ai fait part, à grands traits, de la vision, à la fois critique et exaltante, que m'inspire la fonction qui m'a été confiée. Elle correspond à mes convictions.

Je forme le voeu que dans les mois qui viennent, vous participiez vous-même pleinement à ce débat, à la fois personnellement, quel que soit le pays où vous serez de retour, et dans le cadre de votre prestigieuse université.

Pour aujourd'hui, merci, une fois encore, et de tout coeur, pour l'honneur que vous me faites, ainsi qu'au Parlement européen, et pour l'amitié

 
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