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La Présidente du Parlement européen
COMMUNIQUES DE PRESSE

Bruxelles, le 5 novembre 2001

Discours de Madame Nicole FONTAINE, Présidente du Parlement européen, à l'ouverture de la réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères du partenariat euroméditerranéen.
 

Monsieur le Président de l'Union européenne,
Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de la Commission européenne,
Mesdames et Messieurs,

Après deux guerres mondiales horribles, le dernier siècle s'était achevé sur l'espoir d'un nouvel ordre mondial. La fin de la guerre froide avait restauré la capacité du conseil de sécurité de l'ONU à exercer sa mission au service du droit international, de la paix et du respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

Cet espoir a basculé le 11 septembre dernier. Le monde entier a pris conscience, en un instant de cauchemar, que tous nos Etats, quels que soient leur stabilité démocratique ou leur puissance économique et militaire, étaient à la merci de quelques hommes, prêts à sacrifier leur propre vie pour répandre la mort à grande échelle, au mépris des règles universelles destinées à protéger les populations civiles, des horreurs des guerres.

Dès le lendemain, le Parlement européen se réunissait en session plénière extraordinaire.

A cette occasion, nous avons exprimé notre totale solidarité avec le peuple américain dans l'épreuve qui le frappait. Nous avons reconnu la légitimité des actions de riposte, dès lors qu'elles seraient appropriées, ciblées et concertées avec l'ensemble de la communauté internationale, et plus précisément pour notre part, avec l'Union européenne.

Deux mois après ces événements terribles, où en sommes-nous ?

Au niveau des gouvernements et des institutions européennes et internationales, la solidarité se maintient. Nous avons, les uns et les autres, agi avec diligence pour que les réseaux du terrorisme soient identifiés et poursuivis, pour bloquer les comptes bancaires qui les alimentaient, pour rendre plus sévères les mesures contre le blanchiment d'argent, et pour apporter, autant qu'il était souhaité, le soutien direct aux interventions engagées par les Etats-Unis.

En revanche, force est de constater que l'adhésion des populations tend à s'attiédir dangereusement au fur et à mesure que les réactions universelles provoquées par les horribles attentats du 11 septembre, perdent progressivement de leur force émotionnelle.

La première inquiétude des populations porte sur l'efficacité des opérations qui se déroulent en Afghanistan. Leurs objectifs étaient bien de restaurer la sécurité internationale en neutralisant les repaires du terrorisme, et de favoriser l'émergence, dans ce pays, d'un pouvoir démocratique qui ne soit pas sujet aux mêmes errements que le régime odieux des talibans.

Nous savons tous que les difficultés sont inédites et considérables. Mais plus d'un mois après l'engagement de ces opérations, les commanditaires des attentats du 11 septembre continuent de provoquer leurs victimes et la communauté internationale ; le régime des talibans ne s'est pas disloqué et continue de les protéger ; des milliers de militants endoctrinés se préparent à franchir la frontière du Pakistan pour venir résister à leurs côtés ; au sein du monde arabo-musulman, une frange non négligeable de la population idéalise les criminels, en vengeurs des opprimés, héros ou martyrs ; le profil du gouvernement qui restaurera la cohésion nationale, la liberté et la démocratie en Afghanistan, tarde à se dessiner ; enfin, la menace de nouveaux attentats terroristes, notamment bactériologiques, s'étend des Etats-Unis à de nombreux autres pays, dont ceux de l'Islam.

Sur l'origine de ce terrorisme, il est désormais vain de jeter la pierre contre tel ou tel pays. Ce qu'il faut regarder, c'est l'avenir.

Les Etats-Unis, victimes directes d'un véritable acte de guerre, sont en droit, comme l'a reconnu le Conseil de sécurité de l'ONU, de se défendre avec les moyens qu'ils jugent appropriés.

Mais nous devons, au nom même de notre solidarité, attirer leur attention sur la grave erreur politique qui consisterait à sous-estimer, du fait de leur puissance militaire, l'importance d'une écoute très attentive de l'ensemble des pays qui les ont, et à juste titre, soutenus sans réserve aussitôt les attentats du 11 septembre.

Quelle que soit la position délicate du Pakistan, et la solidarité affirmée de ses autorités, ce pays ne doit pas être leur seul interlocuteur déterminant, ni dans la conduite des opérations, ni dans la préparation d'un autre avenir pour l'Afghanistan. L'issue politique du conflit passe inéluctablement par la chute du régime des talibans, destructeur de l'image d'un Islam tolérant et pacifique. L'alliance du Nord a un rôle notable à jouer dans ce renversement.

Il est un point notamment sur lequel ces opérations peuvent avoir un effet dévastateur sur l'adhésion de nos opinions publiques. C'est celui de l'usage des bombes à fragmentation. Ce n'est pas un détail.

En dépit de toutes les considérations que l'on peut opposer, l'utilisation de telles armes doit être exclue. Elles ont des effets d'une tout autre nature que les dégâts collatéraux ou les erreurs ponctuelles, qui sont hélas inévitables dans un contexte de guerre.

Les bombes à fragmentation sont assimilables aux mines anti-personnelles que toute l'Europe et un grand nombre d'autres pays du monde, à l'exception regrettable des Etats-Unis, ont décidé de bannir de leur arsenal militaire.

Comme les Nations Unies et le Haut Comité aux Réfugiés l'ont demandé, les Etats-Unis doivent fournir d'urgence toutes les informations qui sont nécessaires au déminage de celles qui ont déjà été répandues, et à s'abstenir de toute nouvelle utilisation de telles armes. Persister ne serait pas seulement une faute humaine, ce serait une erreur politique.
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S'agissant du désastre humanitaire qui se profile en Afghanistan avec l'approche de l'hiver, la poursuite légitime des criminels du 11 septembre ne doit pas conduire à ce qu'une population, évaluée par les organisations humanitaires entre 5 et 10 millions d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards, déjà écrasés par vingt ans de guerre et trois années de sécheresse, en paie le prix en mourant de faim, de froid et de dénuement, dans ses montagnes arides et glacées.

Ce désastre humanitaire doit à tout prix être évité. Il ne serait jamais pardonné dans la conscience du monde. Nous ne pouvons qu'apprécier à cet égard l'annonce qui vient d'être faite par les Etats-Unis, de la création d'un couloir humanitaire qui permettra d'agir avant qu'il ne soit trop tard, et je l'espère, en lien opérationnel avec les organisations humanitaires.

C'est pour débattre de ce drame humain qui nous implique tous que le Parlement européen a organisé une audition publique consacrée à l'"aide aux afghans" le 7 novembre à Bruxelles.
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La troisième source d'inquiétude est le risque d'un conflit majeur entre les grandes religions et civilisations, qui, outre celles de l'Extrême-Orient, ont façonné et continuent de déterminer fondamentalement la plus grande partie des sociétés du monde.

Dès le 17 septembre, tous les ambassadeurs des pays de la Ligue arabe représentés à Bruxelles, avaient souhaité me rencontrer pour m'exprimer librement, avec les particularités de chacun, à la fois leur solidarité très grande et leur appréhension aussi grande face à ce risque.

Votre réunion d'aujourd'hui, au plus haut niveau des ministres des affaires étrangères, offre l'occasion, à ne pas manquer, de rendre publique votre détermination commune à cet égard. Vous représentez ici plus de trente pays qui totalisent plus d'un demi milliard d'hommes et de femmes. Ensemble, nos pays ont enfin écarté toute velléité d'hégémonie. Nous concevons nos rapports dans la reconnaissance paisible et mutuelle de nos religions inspiratrices et de nos cultures. Nous avons imbriqué nos économies. Nous avons, quant à nous, sur le sol européen, plusieurs dizaines de millions de personnes issues, par l'immigration, de pays musulmans, et dont la quasi totalité vit paisiblement et s'est parfaitement intégrée sans perdre son identité ethnique ou religieuse.

Pour toutes ces raisons, plus qu'aucune autre région du monde, nous sommes des acteurs et des témoins de ce que doit être l'avenir. Nous avons, de ce fait, un message à adresser à l'ensemble du monde, et ce message est attendu : il est de refuser l'appel à une lutte entre religions qui serait destructrice pour tous et tout amalgame entre l'Islam tolérant et pacifique et celui qui est dévoyé par les terroristes.

Mais nous ne serons entendus qu'à condition de coaliser nos énergies sur deux plans : celui de la résorption du conflit devenu emblématique au Proche-Orient et celui de la réduction du fossé qui ne cesse de s'élargir entre le monde de la prospérité et celui de la pauvreté.

Le conflit du Proche-Orient, qui dure depuis plus d'un demi-siècle, menace la paix du monde. Tant qu'il n'aura pas trouvé une solution politique équilibrée, il cristallisera, et même sublimera des frustrations qui sont le terreau du terrorisme international.

La spirale des attentats et des répressions que ceux-ci entraînent, est sans issue, tant pour la sécurité d'Israël que pour la reconnaissance du droit des Palestiniens. Deux Etats pour deux peuples réconciliés, telle est la seule voie réaliste, et conforme aux résolutions des Nations Unies.

Nous devons conjuguer nos efforts entre l'Europe et les pays méditerranéens, pour imposer enfin, aux extrémistes des deux parties, la paix dans la sécurité mutuelle et la justice.

Celle-ci passe par le rétablissement d'un dialogue immédiat et sincère, sans conditions préalables. Tous ceux qui sont attachés à ce dialogue apprécieront qu'Israël ait refusé la provocation constituée par le dernier attentat odieux d'hier, et maintienne son engagement d'un retrait rapide des villes récemment réoccupées.

S'agissant du fossé entre le monde de la prospérité et celui de la pauvreté, la communauté humaine est une, et elle doit donc être solidaire.

Le terrorisme continuera de trouver un terrain d'appui au sein des populations du globe tant que cette solidarité ne sera pas davantage reconnue dans la réduction de l'intolérable fossé de niveau de vie entre les pays du Nord où la prospérité s'accroît, et ceux du Sud qui sont impuissants à résister à la concurrence brutale et à sortir de leur sous-développement.

Je forme le vœu que votre réunion de dialogue euro-méditerranéen, tout en répondant aux urgences du moment et aux attentes immédiates de nos peuples, inscrive sa détermination dans la perspective de ce regard lucide sur l'organisation actuelle du monde et ses dangers latents. Je souhaite également que la réunion extraordinaire du Forum parlementaire euro-méditerranéen, qui se tiendra au Parlement européen le 8 novembre à Bruxelles, marque cette même détermination des parlementaires des deux rives de la Méditerranée d'oeuvrer pour que le dialogue politique, culturel, économique et social établit entre nous contribue vigoureusement à rapprocher les peuples dans l'esprit de tolérance mutuelle qui les anime.

Je vous remercie.
 
© Parlement européenResponsable du site : Hélène Lanvert